L’accès à l’assurance emprunteur constitue souvent un parcours semé d’embûches pour les personnes ayant connu des problèmes de santé. Face à la discrimination tarifaire et aux exclusions de garantie, le législateur français a progressivement mis en place un cadre protecteur pour les anciens malades. La convention AERAS, le droit à l’oubli, et plus récemment la loi Lemoine ont considérablement transformé le paysage de l’assurance prêt immobilier. Ces dispositifs permettent désormais aux personnes ayant souffert de pathologies graves de bénéficier de conditions d’assurance plus équitables. Cet enjeu majeur concerne des millions de Français qui, après avoir vaincu la maladie, se heurtent à une nouvelle épreuve lors de leur projet immobilier.
Le cadre juridique de l’assurance emprunteur pour les personnes à risque aggravé
L’assurance emprunteur représente une protection financière fondamentale lors de la souscription d’un prêt immobilier. Elle garantit le remboursement du capital restant dû en cas d’invalidité, d’incapacité ou de décès de l’emprunteur. Toutefois, les personnes présentant un risque aggravé de santé ont longtemps été confrontées à des difficultés d’accès à cette assurance.
La convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) constitue la pierre angulaire du dispositif protecteur. Signée en 2006 et régulièrement révisée, cette convention engage les pouvoirs publics, les fédérations professionnelles de la banque et de l’assurance, ainsi que les associations de malades et de consommateurs. Son objectif principal est de faciliter l’accès à l’assurance et au crédit pour les personnes présentant un risque de santé aggravé.
Le mécanisme de la convention AERAS repose sur un système d’examen à trois niveaux des demandes d’assurance :
- Le niveau 1 correspond à l’analyse standard des risques par les assureurs
- Le niveau 2 prévoit un réexamen automatique des dossiers refusés au niveau 1
- Le niveau 3, appelé « pool des risques très aggravés », intervient pour les dossiers les plus complexes
En parallèle, le Code des assurances et le Code de la consommation ont intégré plusieurs dispositions protectrices. L’article L.113-8 du Code des assurances encadre notamment les conséquences d’une fausse déclaration intentionnelle du risque, tandis que l’article L.312-9 du Code de la consommation affirme la liberté de choix de l’assurance emprunteur.
La jurisprudence a progressivement renforcé la protection des emprunteurs présentant un risque de santé. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont précisé l’étendue de l’obligation d’information des établissements bancaires concernant les conditions d’assurance proposées. Ces décisions ont contribué à l’émergence d’un véritable droit à l’assurance pour les personnes ayant connu des problèmes de santé.
Malgré ces avancées, des disparités persistent dans l’application de ces dispositifs selon les établissements bancaires et les compagnies d’assurance, créant une forme d’insécurité juridique pour les anciens malades souhaitant accéder à la propriété.
Le droit à l’oubli et la grille de référence AERAS : une avancée majeure
Le droit à l’oubli représente une innovation significative dans le paysage de l’assurance emprunteur. Ce dispositif permet aux anciens malades de ne plus déclarer certaines pathologies après un délai défini, leur offrant ainsi la possibilité de souscrire une assurance aux conditions standard, sans surprime ni exclusion de garantie.
Initialement instauré par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le droit à l’oubli concernait principalement les cancers diagnostiqués avant l’âge de 18 ans (délai de 5 ans après la fin du protocole thérapeutique) et les autres cancers (délai de 10 ans). La loi Lemoine du 28 février 2022 a considérablement renforcé ce dispositif en réduisant le délai général à 5 ans pour l’ensemble des pathologies cancéreuses.
En complément du droit à l’oubli, la grille de référence AERAS constitue un outil fondamental pour les anciens malades. Cette grille, régulièrement actualisée par la Commission de suivi et de propositions de la convention AERAS, liste les pathologies pour lesquelles l’assurance est accessible sans surprime ni exclusion de garantie, ou avec une surprime plafonnée.
Les pathologies concernées par la grille de référence
La grille de référence AERAS couvre désormais de nombreuses pathologies :
- Différents types de cancers (sein, thyroïde, col de l’utérus, etc.)
- L’hépatite virale C
- L’infection par le VIH
- Certaines formes de diabète
- Des maladies inflammatoires chroniques intestinales
Pour chaque pathologie, la grille précise les conditions d’accès à l’assurance : délai après la fin du traitement, caractéristiques spécifiques de la maladie, examens de suivi nécessaires. Cette standardisation permet de réduire les disparités de traitement entre les différents assureurs.
Le fonctionnement de ce dispositif repose sur une évaluation scientifique rigoureuse des risques réels associés à chaque pathologie. Des experts médicaux indépendants analysent les données épidémiologiques et les avancées thérapeutiques pour déterminer les conditions d’accès à l’assurance. Cette approche factuelle permet de lutter contre les discriminations infondées.
La mise en œuvre de ces dispositifs nécessite une vigilance constante de la part des emprunteurs. Les questionnaires de santé doivent mentionner explicitement l’existence du droit à l’oubli et de la grille de référence. En cas de non-respect de ces obligations, des recours sont possibles auprès de la Commission de médiation AERAS ou du Défenseur des droits.
Les associations de patients jouent un rôle déterminant dans l’information et l’accompagnement des anciens malades. Des structures comme la Ligue contre le cancer ou l’Association française des diabétiques proposent des services de conseil personnalisé pour faciliter les démarches d’assurance.
La révolution de la loi Lemoine pour les anciens malades
La loi Lemoine, promulguée le 28 février 2022, marque un tournant décisif dans la protection des anciens malades face aux difficultés d’accès à l’assurance emprunteur. Cette réforme, portée par la députée Patricia Lemoine, a profondément modifié le Code des assurances et le Code de la consommation pour renforcer les droits des emprunteurs.
L’une des mesures phares de cette loi concerne la réduction du délai du droit à l’oubli pour les pathologies cancéreuses, passant de 10 à 5 ans après la fin du protocole thérapeutique. Cette avancée significative permet à de nombreux anciens patients de ne plus déclarer leur maladie lors de la souscription d’une assurance emprunteur, cinq ans après la fin de leur traitement.
Au-delà de cette réduction de délai, la loi Lemoine a instauré la suppression du questionnaire médical pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 euros par assuré et dont le terme intervient avant le 60ème anniversaire de l’emprunteur. Cette mesure révolutionnaire permet aux personnes ayant connu des problèmes de santé d’accéder plus facilement à la propriété, sans avoir à révéler leur historique médical.
La loi a par ailleurs renforcé le droit à la résiliation de l’assurance emprunteur à tout moment, sans frais ni pénalités. Cette possibilité, effective depuis le 1er juin 2022 pour les nouveaux contrats et depuis le 1er septembre 2022 pour les contrats en cours, offre aux anciens malades une liberté accrue pour rechercher une assurance plus adaptée à leur situation, notamment lorsque leur état de santé s’améliore.
Le texte législatif a instauré une obligation d’information renforcée à la charge des établissements bancaires et des assureurs. Ces derniers doivent désormais communiquer annuellement aux emprunteurs le coût de l’assurance sur les huit années à venir, ainsi que la possibilité de résiliation à tout moment. Cette transparence accrue facilite la comparaison des offres et la recherche d’alternatives plus avantageuses.
Les sanctions en cas de non-respect des dispositions de la loi Lemoine ont été considérablement renforcées. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dispose désormais de pouvoirs étendus pour sanctionner les manquements des professionnels, avec des amendes pouvant atteindre des montants significatifs.
L’impact économique de cette réforme est substantiel pour les anciens malades. Selon plusieurs études, les économies réalisées grâce à la résiliation et à la mise en concurrence des assurances peuvent représenter plusieurs milliers d’euros sur la durée totale du prêt. Cette dimension financière constitue un levier d’inclusion sociale majeur pour les personnes ayant connu des problèmes de santé.
Les stratégies pratiques pour optimiser son assurance emprunteur en cas d’antécédents médicaux
Face aux obstacles que peuvent rencontrer les anciens malades dans leur parcours d’assurance, plusieurs stratégies pratiques peuvent être déployées pour améliorer leurs chances d’obtenir une couverture adaptée à des conditions équitables.
La délégation d’assurance constitue un levier fondamental. En vertu des lois Lagarde, Hamon, Bourquin et désormais Lemoine, les emprunteurs peuvent librement choisir leur assureur, indépendamment de l’établissement prêteur. Cette liberté permet aux anciens malades de solliciter des assureurs spécialisés dans la couverture des risques aggravés, souvent plus compétitifs que les contrats groupe proposés par les banques.
Le recours à un courtier spécialisé en assurance emprunteur représente un atout considérable. Ces professionnels connaissent parfaitement les spécificités des différents assureurs et leurs critères de sélection médicale. Ils peuvent orienter les anciens malades vers les compagnies les plus ouvertes à leur profil de risque et négocier des conditions tarifaires avantageuses.
Constitution d’un dossier médical solide
La préparation d’un dossier médical complet et précis s’avère déterminante. Ce dossier doit comporter :
- Un compte-rendu détaillé du médecin traitant ou du spécialiste
- Les résultats des derniers examens attestant de la stabilité de l’état de santé
- Un historique précis des traitements suivis et de leur efficacité
- Des informations sur le mode de vie (activité physique, alimentation équilibrée)
Cette documentation permet au médecin-conseil de l’assureur d’évaluer le risque de manière objective, sans se fonder uniquement sur des statistiques générales souvent défavorables aux anciens malades.
L’adaptation des garanties d’assurance aux besoins réels peut constituer une stratégie efficace. Certains anciens malades optent pour une couverture partielle (par exemple, uniquement la garantie décès) ou acceptent des exclusions spécifiques liées à leur pathologie pour obtenir une tarification plus avantageuse sur les autres garanties.
La co-assurance représente une option intéressante pour les couples. Lorsqu’un des conjoints présente un risque aggravé, la répartition des quotités d’assurance peut être ajustée pour minimiser l’impact financier des surprimes. Le conjoint en bonne santé peut ainsi prendre en charge une part plus importante de la couverture.
Le recours aux garanties alternatives mérite d’être exploré. Les garanties invalidité spécifiques AERAS (GIS) offrent une protection adaptée aux personnes ne pouvant bénéficier des garanties standards d’incapacité-invalidité. Ces garanties couvrent l’invalidité professionnelle et présentent des conditions d’accès plus souples.
Enfin, la négociation directe avec l’établissement prêteur peut s’avérer fructueuse. Certaines banques acceptent d’assouplir leurs exigences en matière d’assurance pour les clients présentant un profil financier solide (apport personnel conséquent, revenus stables, patrimoine diversifié).
Les perspectives d’évolution et les défis persistants
Malgré les avancées significatives de ces dernières années, l’accès à l’assurance emprunteur pour les anciens malades demeure un chantier en constante évolution, avec des défis persistants et des perspectives de progrès.
L’élargissement du droit à l’oubli constitue l’une des pistes d’amélioration les plus prometteuses. De nombreuses associations militent pour l’extension de ce dispositif à d’autres pathologies chroniques comme les maladies auto-immunes, les affections psychiatriques stabilisées ou certaines maladies génétiques dont les traitements ont considérablement progressé.
Le développement de la médecine personnalisée et des biomarqueurs prédictifs ouvre de nouvelles perspectives pour l’évaluation individualisée des risques. Ces avancées scientifiques permettraient de dépasser les approches statistiques générales qui pénalisent souvent les anciens malades, au profit d’une analyse fine du risque réel présenté par chaque individu.
La digitalisation des processus d’assurance représente à la fois une opportunité et un défi. Si les plateformes numériques facilitent la comparaison des offres et la mise en concurrence des assureurs, elles soulèvent des questions cruciales concernant la protection des données de santé et le droit à la vie privée des anciens malades.
L’harmonisation des pratiques au niveau européen constitue un enjeu majeur. Les disparités entre les législations nationales créent des inégalités de traitement entre les citoyens européens. Une directive communautaire pourrait établir un socle minimal de protection pour les personnes présentant un risque aggravé de santé.
Le renforcement des dispositifs de médiation et de recours représente une nécessité pour garantir l’effectivité des droits des anciens malades. Malgré l’existence de la Commission de médiation AERAS, de nombreux emprunteurs renoncent à contester les décisions défavorables des assureurs, faute d’information ou par crainte de la complexité des procédures.
Les limites actuelles du système de protection
Plusieurs limites persistent dans le dispositif actuel :
- La méconnaissance des droits par les principaux intéressés
- La complexité administrative des démarches de contestation
- Les disparités d’interprétation des textes entre les différents acteurs
- La charge de la preuve qui pèse souvent sur l’emprunteur en cas de litige
La question de l’éducation financière des personnes ayant connu des problèmes de santé constitue un axe de travail prometteur. Des programmes spécifiques pourraient être développés pour informer les anciens malades de leurs droits et les accompagner dans l’élaboration de leur projet immobilier.
Le développement de produits d’assurance innovants, spécifiquement conçus pour les profils à risque aggravé, représente une voie d’avenir. Certains assureurs spécialisés proposent désormais des contrats modulables, avec des garanties évolutives s’adaptant à l’amélioration de l’état de santé de l’assuré.
L’implication des associations de patients dans la gouvernance des dispositifs de protection demeure fondamentale. Leur expertise d’usage et leur connaissance des réalités vécues par les anciens malades constituent des ressources précieuses pour faire évoluer le cadre juridique et les pratiques professionnelles.
Vers une assurance emprunteur plus inclusive et équitable
L’évolution du cadre juridique et des pratiques dans le domaine de l’assurance emprunteur témoigne d’une prise de conscience collective des enjeux liés à l’inclusion financière des anciens malades. Les avancées législatives successives ont considérablement amélioré la situation, mais le chemin vers une égalité parfaite reste à parcourir.
La convention AERAS, le droit à l’oubli et la loi Lemoine constituent un triptyque protecteur qui a transformé le paysage de l’assurance emprunteur en France. Ces dispositifs complémentaires permettent désormais à de nombreuses personnes ayant connu des problèmes de santé d’accéder à la propriété dans des conditions plus équitables.
Le rôle des acteurs associatifs demeure central dans ce combat pour l’égalité des droits. Leur vigilance et leur expertise ont permis de faire émerger ces dispositifs protecteurs et de les faire évoluer pour répondre aux besoins réels des anciens malades. La poursuite de ce dialogue entre les pouvoirs publics, les professionnels du secteur et les représentants des usagers constitue une garantie d’amélioration continue.
L’information et l’accompagnement des personnes concernées représentent des leviers d’action prioritaires. Malgré l’existence de dispositifs protecteurs, de nombreux anciens malades renoncent encore à leurs projets immobiliers par méconnaissance de leurs droits ou par anticipation de difficultés qu’ils pourraient en réalité surmonter avec un accompagnement adapté.
La responsabilité sociale des établissements bancaires et des compagnies d’assurance s’affirme progressivement comme un facteur d’évolution positive. Au-delà du simple respect des obligations légales, certains acteurs développent des approches innovantes pour faciliter l’accès à l’assurance des populations vulnérables, reconnaissant ainsi leur rôle dans la construction d’une société plus inclusive.
L’évaluation régulière de l’efficacité des dispositifs existants s’avère indispensable pour identifier les marges de progrès. Les données statistiques sur l’accès à l’assurance des personnes présentant un risque aggravé de santé, collectées notamment par le Comité de suivi AERAS, permettent d’objectiver les avancées et les obstacles persistants.
La prise en compte des parcours individuels, dans leur diversité et leur complexité, constitue un défi majeur pour les années à venir. Au-delà des grandes catégories de pathologies, chaque ancien malade présente un profil de risque spécifique qui mériterait une évaluation personnalisée plutôt qu’une application mécanique de grilles standardisées.
En définitive, la protection des anciens malades dans le domaine de l’assurance emprunteur illustre la tension permanente entre deux impératifs : d’une part, la nécessaire mutualisation des risques qui fonde le principe même de l’assurance; d’autre part, l’exigence d’équité qui commande de ne pas faire supporter aux plus vulnérables des charges disproportionnées. L’équilibre trouvé ces dernières années en France, bien qu’imparfait, témoigne d’une volonté collective de concilier ces impératifs apparemment contradictoires au service d’une société plus juste et plus solidaire.
