Le factoring et le devoir d’information du cédant : équilibrer protection et efficacité économique

La pratique du factoring s’est considérablement développée dans le paysage financier français comme solution de financement à court terme pour les entreprises. Cette technique de cession de créances commerciales implique un transfert d’informations entre le cédant et le factor, créant ainsi un rapport juridique complexe où le devoir d’information occupe une place centrale. La jurisprudence récente a renforcé les obligations du cédant, notamment concernant la transmission d’informations sur la solvabilité des débiteurs cédés. Ce renforcement soulève des questions fondamentales sur l’équilibre contractuel et la répartition des risques entre les parties. Face à ces enjeux, une analyse approfondie du cadre juridique et des implications pratiques du devoir d’information dans les opérations de factoring s’avère nécessaire pour les praticiens du droit et les acteurs économiques.

Les fondements juridiques du devoir d’information dans le factoring

Le factoring repose sur un mécanisme de cession de créances professionnelles, souvent réalisé selon les modalités de la cession Dailly codifiée aux articles L.313-23 et suivants du Code monétaire et financier. Cette opération triangulaire met en relation le cédant (l’entreprise), le cessionnaire (le factor) et le débiteur cédé (le client du cédant). Dans ce cadre, le devoir d’information trouve son fondement dans plusieurs sources juridiques.

Au niveau législatif, l’article 1112-1 du Code civil, issu de la réforme du droit des obligations de 2016, consacre un devoir général d’information précontractuelle. Ce texte dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». Cette obligation générale s’applique pleinement aux relations entre le cédant et le factor.

La jurisprudence a précisé la portée de ce devoir dans le cadre spécifique du factoring. La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 septembre 2017 (Cass. com., 13 sept. 2017, n° 15-24.294), a affirmé que le cédant est tenu d’une obligation de loyauté envers le factor, impliquant un devoir d’information sur tout élément susceptible d’affecter la valeur des créances cédées. Cette position a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures, dont l’arrêt du 27 mars 2019 (Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-18.763) qui sanctionne le manquement à cette obligation.

Les contrats de factoring eux-mêmes constituent une source importante d’obligations informationnelles. Ces conventions comportent généralement des clauses détaillées sur les informations que le cédant doit transmettre au factor, tant lors de la conclusion du contrat que pendant son exécution. Ces stipulations contractuelles viennent compléter et préciser le cadre légal et jurisprudentiel.

Par ailleurs, le devoir d’information s’inscrit dans un cadre plus large de régulation bancaire. Les factors, souvent des établissements de crédit ou des sociétés de financement, sont soumis à des obligations prudentielles qui les conduisent à exiger des informations précises de leurs clients. Le règlement CRBF 97-02 relatif au contrôle interne des établissements de crédit impose notamment une évaluation rigoureuse des risques, renforçant indirectement le devoir d’information du cédant.

La dimension internationale ne doit pas être négligée. Lorsque l’opération de factoring comporte un élément d’extranéité, la Convention d’Ottawa du 28 mai 1988 sur l’affacturage international peut s’appliquer. Son article 8 énonce que le cédant garantit que les créances cédées correspondent à une vente de marchandises réellement effectuée, impliquant indirectement un devoir d’information sur la réalité des créances.

L’articulation avec les principes généraux du droit des contrats

Le devoir d’information dans le factoring s’articule avec les principes fondamentaux du droit des contrats, notamment :

  • Le principe de bonne foi (article 1104 du Code civil)
  • L’obligation de loyauté contractuelle
  • La théorie des vices du consentement, particulièrement le dol par réticence

Cette articulation confère au devoir d’information une double nature : à la fois obligation contractuelle spécifique et manifestation de principes généraux du droit des obligations.

L’étendue matérielle du devoir d’information du cédant

L’étendue du devoir d’information du cédant dans une opération de factoring se caractérise par sa grande amplitude. Cette obligation couvre un spectre large d’informations dont la transmission au factor s’avère déterminante pour l’équilibre économique de l’opération.

En premier lieu, le cédant doit informer le factor sur la solvabilité des débiteurs cédés. Cette obligation a été particulièrement mise en lumière par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 novembre 2013 (n°12-20.809), où elle a considéré que constitue un manquement à l’obligation d’information le fait pour un cédant de ne pas avoir alerté le factor sur les difficultés financières connues d’un débiteur cédé. Le cédant doit ainsi transmettre toute information relative aux incidents de paiement antérieurs, aux procédures collectives en cours ou imminentes, ou à toute dégradation significative de la situation financière d’un débiteur.

Le devoir d’information porte également sur la réalité et la validité des créances cédées. Le cédant doit garantir que les créances correspondent à des opérations commerciales effectives et ne font pas l’objet de contestations. Dans un arrêt du 9 janvier 2019 (Cass. com., 9 janv. 2019, n°17-19.870), la Cour de cassation a sanctionné un cédant qui avait transmis des factures correspondant à des prestations non réalisées. Cette jurisprudence confirme que le cédant doit informer le factor de tout litige commercial susceptible d’affecter le recouvrement des créances.

L’information doit par ailleurs porter sur les caractéristiques juridiques des créances, notamment l’existence de clauses particulières dans les contrats commerciaux sous-jacents. Sont particulièrement visées les clauses de réserve de propriété, les clauses de compensation, les clauses d’incessibilité ou encore les délais de paiement convenus. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 mars 2018, a ainsi retenu la responsabilité d’un cédant qui n’avait pas informé le factor de l’existence d’une clause de compensation dans ses relations commerciales avec le débiteur cédé.

Le devoir d’information s’étend aux relations commerciales entre le cédant et ses débiteurs. Toute dégradation de ces relations, tout litige commercial en cours ou tout risque de rupture des relations d’affaires doit être porté à la connaissance du factor. La jurisprudence récente a notamment sanctionné des cédants qui, connaissant l’imminence d’une rupture de relations commerciales avec un client majeur, n’en avaient pas informé le factor (CA Lyon, 12 septembre 2019).

Enfin, le cédant doit informer le factor de sa propre situation financière lorsque celle-ci est susceptible d’affecter l’exécution du contrat de factoring. Cette obligation a été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2018 (Cass. com., 7 févr. 2018, n°16-24.481), où elle a jugé que le cédant avait manqué à son devoir d’information en dissimulant sa situation financière dégradée lors de la conclusion du contrat.

La temporalité du devoir d’information

Le devoir d’information se déploie selon trois temporalités distinctes :

  • Phase précontractuelle : information sur les caractéristiques générales du portefeuille clients
  • Lors de chaque cession : information sur les créances spécifiquement cédées
  • Pendant l’exécution du contrat : information continue sur tout événement susceptible d’affecter les créances déjà cédées

Cette dimension temporelle confère au devoir d’information un caractère dynamique et continu, qui dépasse la simple obligation ponctuelle.

Le régime juridique des sanctions en cas de manquement

Le non-respect du devoir d’information par le cédant dans une opération de factoring expose ce dernier à un arsenal de sanctions juridiques dont la diversité reflète la nature hybride de cette obligation. Ces sanctions varient selon la gravité du manquement et ses conséquences sur l’opération de factoring.

La responsabilité contractuelle constitue le premier niveau de sanction. Lorsque le contrat de factoring contient des clauses spécifiques relatives au devoir d’information, leur violation peut entraîner l’application des sanctions prévues contractuellement. Ces sanctions prennent généralement la forme d’une déchéance des garanties accordées par le factor, notamment l’abandon des recours contre le cédant en cas de non-paiement par le débiteur cédé. Dans un arrêt du 18 janvier 2017 (Cass. com., 18 janv. 2017, n°15-13.392), la Cour de cassation a validé l’application d’une clause prévoyant la résolution des cessions de créances concernées par une information erronée.

Au-delà des sanctions contractuelles, le manquement au devoir d’information peut fonder une action en responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. La Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt du 3 mai 2018 (Cass. com., 3 mai 2018, n°16-27.718), qu’un cédant ayant dissimulé des informations déterminantes sur la solvabilité d’un débiteur cédé engageait sa responsabilité délictuelle envers le factor. Les dommages-intérêts accordés visent à réparer l’intégralité du préjudice subi, généralement évalué à hauteur des sommes que le factor n’a pu recouvrer auprès du débiteur cédé.

Dans certains cas, le manquement au devoir d’information peut être requalifié en dol, vice du consentement sanctionné par l’article 1137 du Code civil. La jurisprudence considère en effet que la réticence dolosive, caractérisée par la dissimulation intentionnelle d’une information déterminante, peut justifier l’annulation du contrat de factoring ou de certaines cessions de créances spécifiques. Un arrêt de la Chambre commerciale du 10 octobre 2018 (n°17-14.986) illustre cette approche en annulant des cessions de créances obtenues par réticence dolosive du cédant sur l’existence de contestations commerciales.

La garantie contre les vices cachés peut également être invoquée lorsque le manquement au devoir d’information porte sur des défauts affectant les créances cédées. Par analogie avec la vente, la jurisprudence admet que le cédant garantit les vices affectant les créances transmises au factor. Cette garantie peut conduire à la résolution de la cession ou à une réduction du prix (Cass. com., 12 juillet 2016, n°14-29.746).

Dans les situations les plus graves, notamment en cas de fraude caractérisée, le manquement au devoir d’information peut entraîner des sanctions pénales. Les juridictions répressives ont parfois retenu la qualification d’escroquerie (article 313-1 du Code pénal) lorsqu’un cédant a sciemment transmis des créances fictives ou grevées de droits qu’il dissimulait volontairement. Un arrêt de la Chambre criminelle du 5 septembre 2018 (n°17-84.980) a ainsi confirmé la condamnation d’un dirigeant d’entreprise pour escroquerie après la cession de créances fictives à un factor.

L’aménagement contractuel des sanctions

Les parties au contrat de factoring peuvent aménager contractuellement le régime des sanctions applicables en cas de manquement au devoir d’information, sous réserve des limites suivantes :

  • L’interdiction des clauses limitatives de responsabilité en cas de dol ou de faute lourde
  • Le respect de l’équilibre contractuel exigé par le droit de la consommation lorsque le cédant est une TPE
  • La conformité aux règles d’ordre public du droit bancaire et financier

Ces aménagements contractuels jouent un rôle préventif significatif dans la pratique du factoring.

Les spécificités sectorielles et les situations à risque

Le devoir d’information du cédant dans les opérations de factoring présente des particularités notables selon les secteurs économiques concernés. Cette variabilité s’explique par les risques spécifiques inhérents à chaque activité et par les pratiques commerciales propres à certains marchés.

Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, le devoir d’information revêt une importance accrue en raison du mécanisme de réception des travaux et des garanties spécifiques (garantie décennale, garantie de parfait achèvement). Le cédant doit informer le factor des réserves émises lors de la réception des travaux, ces réserves pouvant justifier la suspension du paiement par le maître d’ouvrage. La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 14 mars 2019, a ainsi retenu la responsabilité d’une entreprise de construction qui avait cédé des créances sans informer le factor des nombreuses réserves formulées par le client lors de la réception.

Le secteur de l’industrie présente la particularité des contrats à exécution successive ou des contrats-cadres. Le cédant doit porter une attention particulière à l’information relative aux clauses de révision de prix, aux pénalités contractuelles ou aux mécanismes de compensation prévus dans ces contrats complexes. Un arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2018 (Cass. com., 12 juin 2018, n°16-25.058) a sanctionné un équipementier automobile qui n’avait pas informé le factor de l’existence d’une clause de compensation automatique dans son contrat avec un constructeur.

Dans le domaine des prestations intellectuelles (conseil, informatique, services), le devoir d’information porte principalement sur les conditions d’acceptation des livrables et sur les éventuelles réserves du client. La jurisprudence récente montre une sévérité particulière envers les sociétés de services qui cèdent des créances correspondant à des prestations non validées par le client (CA Paris, 25 septembre 2019).

Le commerce international constitue un terrain particulièrement sensible pour le factoring. Le cédant doit informer le factor des risques spécifiques liés à l’exportation : risque pays, conformité aux réglementations locales, existence de clauses attributives de compétence ou de clauses d’arbitrage. Dans un contexte international, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 21 novembre 2018 (n°17-17.468), qu’un exportateur avait manqué à son devoir d’information en omettant de signaler l’existence d’une procédure d’arbitrage initiée par un client étranger.

Certaines situations transversales présentent des risques accrus quant au devoir d’information. C’est notamment le cas des cessions de créances sur personnes publiques, où le cédant doit informer le factor des spécificités de la commande publique (délais de paiement, procédures de mandatement, possibilité de compensation avec des créances fiscales). De même, les créances sur des entreprises en difficulté font l’objet d’une vigilance particulière des tribunaux, qui exigent une transparence totale du cédant sur la situation du débiteur cédé.

Les bonnes pratiques préventives

Face à ces risques sectoriels, plusieurs bonnes pratiques peuvent être recommandées :

  • La mise en place de procédures internes de vérification des informations transmises au factor
  • L’élaboration de questionnaires sectoriels spécifiques lors de la phase précontractuelle
  • La désignation d’un référent factoring dans l’entreprise cédante
  • L’organisation d’audits réguliers du portefeuille de créances cédées

Ces pratiques permettent de réduire significativement le risque de manquement au devoir d’information et, par conséquent, le contentieux potentiel entre le cédant et le factor.

Perspectives d’évolution et recommandations pratiques

L’évolution du factoring et du devoir d’information du cédant s’inscrit dans un contexte de transformation profonde du financement des entreprises et du cadre juridique applicable. Plusieurs tendances majeures se dessinent pour les années à venir, offrant des perspectives nouvelles aux praticiens.

La digitalisation des opérations de factoring constitue sans doute la mutation la plus visible. L’émergence des plateformes électroniques de cession de créances et l’utilisation croissante de la signature électronique transforment les modalités d’échange d’informations entre le cédant et le factor. Cette évolution soulève des questions juridiques inédites quant à la valeur probatoire des informations transmises par voie électronique. La jurisprudence commence à se prononcer sur ces questions, comme l’illustre un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 18 octobre 2019 validant un processus entièrement dématérialisé de cession de créances et d’échange d’informations.

L’impact de la technologie blockchain sur le factoring mérite une attention particulière. Les contrats intelligents (smart contracts) pourraient automatiser la transmission d’informations entre le cédant et le factor, réduisant ainsi les risques d’omission ou d’erreur. Plusieurs établissements financiers développent actuellement des solutions de factoring basées sur la blockchain, comme le projet Marco Polo porté par un consortium bancaire international. Ces innovations technologiques pourraient redéfinir le contour du devoir d’information en le rendant plus objectif et moins dépendant de l’appréciation subjective du cédant.

Sur le plan législatif, l’harmonisation européenne du droit des sûretés pourrait influencer le régime juridique du factoring et du devoir d’information. Le projet de Code européen des affaires, porté par plusieurs associations de juristes, envisage une uniformisation des règles relatives à la cession de créances professionnelles. Cette évolution faciliterait le factoring transfrontalier tout en clarifiant les obligations d’information du cédant dans un contexte international.

La jurisprudence récente montre une tendance à l’objectivation du devoir d’information. Les tribunaux semblent s’orienter vers une appréciation plus standardisée des informations que le cédant doit transmettre au factor, réduisant ainsi la part d’appréciation subjective. Cette évolution pourrait conduire à l’émergence d’un standard de l’information « normalement transmissible » dans le cadre d’une opération de factoring, comparable au standard du « bon père de famille » en droit civil.

Face à ces évolutions, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées à l’attention des cédants et des factors :

Pour les cédants, il paraît judicieux d’adopter une approche proactive du devoir d’information en mettant en place des procédures internes de vérification et de transmission des informations. La désignation d’un responsable dédié aux relations avec le factor, la formalisation des procédures de vérification des créances avant cession et la mise en place d’un système d’alerte en cas d’incident de paiement constituent des mesures préventives efficaces.

Les factors ont tout intérêt à renforcer leurs procédures de due diligence lors de la phase précontractuelle et à développer des questionnaires sectoriels adaptés aux spécificités de chaque client. L’utilisation d’outils d’analyse de données (data analytics) peut permettre de détecter plus rapidement les anomalies dans les portefeuilles de créances cédées et d’anticiper les risques de non-paiement.

Les avocats et juristes spécialisés doivent veiller à la rédaction précise des clauses contractuelles relatives au devoir d’information, en définissant clairement le périmètre des informations à transmettre et les conséquences d’un manquement. L’élaboration d’annexes sectorielles aux contrats de factoring, détaillant les informations spécifiques à communiquer selon le secteur d’activité du cédant, peut constituer une bonne pratique.

Vers un équilibre entre protection et efficacité économique

L’enjeu majeur pour les années à venir sera de trouver un équilibre entre :

  • La protection du factor contre les risques d’asymétrie d’information
  • La fluidité des opérations de financement nécessaire au dynamisme économique
  • La sécurité juridique indispensable au développement du factoring

Cet équilibre passe par une approche pragmatique du devoir d’information, adaptée aux réalités économiques de chaque secteur et aux capacités techniques des acteurs concernés.